L'examen du nucléaire en Suisse et dans l'Union Européenne ne fait pas paraître des différences fondamentales. La situation varie d'un pays à l'autre. L'essentiel c'est d'empêcher les milieux qui, en Suisse, veulent restreindre les droits populaires et supprimer toute résistance écologique et sociale d'aboutir à leur fin prétextant de liens plus étroits à créer entre la Suisse et l'Union Européenne.
par Christian van Singer, physicien, membre de "sortir du nucléaire", C.P. 195, 1000 Lausanne 9
Très bref historique
C'est pour se donner bonne conscience, après avoir mis au point des armes à l'effroyable pouvoir destructeur, que des physiciens nucléaires ont lancé après la deuxième guerre mondiale l'idée d'une utilisation civile de l'énergie nucléaire. Le projet de disposer de quantités énormes d'énergie électrique "pour la paix" était tentant et a reçu dans l'opinion un soutien quasi unanime.
Les gouvernements ont suivi les scientifiques sans hésitations, souvent avec l'arrière pensée de disposer ainsi des spécialistes indispensables pour construire l'arme atomique, parfois même avec le projet clairement déclaré, comme en France ou en Angleterre, ou secret, comme en Suisse, de développer parallèlement nucléaire civil et militaire. Les premiers chocs pétroliers, le désir de diversifier les sources d'énergie, ont donné une impulsion supplémentaire au développement du nucléaire et les risques d'accidents majeurs et les problèmes posés par les déchets nucléaires et le démantèlement des centrales ont été partout sous-estimés. Ainsi, au point de vue historique, il n'y a pas de différence fondamentale entre le développement du nucléaire en Suisse et en Europe de l'Ouest.
Examinons la situation en Suisse et dans l'Union Européenne d'un point de vue quantitatif.
Les centrales nucléaires en Suisse et dans l'Union Européenne
Pays
|
nombre de centrales nucléaires
|
puissance
|
part de la production d'électricité en 95
|
Allemagne
Belgique
Espagne
Finlande
France
GB
Pays-Bas
Suède
Suisse
Autriche, Danemark, Grèce, Irlande, Italie,
Luxembourg, et Portugal
|
20
7
9
4
56
35
2
12
5
0
|
22'181 MW
5'632 MW
7'124 MW
2'310 MW
58'573 MW
'528 MW
504 MW
9'999 MW
3055 MW
0
|
29%
56%
33%
30%
76%
25%
5%
47%
39%
0%
|
(données de l'Association suisse pour l'énergie atomique)
La situation par rapport à l'énergie nucléaire n'est quantitativement ni meilleure ni pire en Suisse que dans l'Union Européenne. L'examen du tableau ci dessus nous le montre.
Si en Suisse, grâce au droit d'initiative, le développement du nucléaire a pu être stoppé (moratoire jusqu'en 2000), plusieurs pays de l'Union Européenne (le Danemark, l'Italie et l'Autriche) ont renoncé au nucléaire et la Suède a planifié l'abandon progressif du nucléaire. La politique d'encouragement de l'efficacité énergétique et des énergies renouvelables pour se passer du nucléaire est même beaucoup plus cohérente et active au Danemark qu'en Suisse ...
De toute façon le développement du nucléaire est, pour l'instant et jusqu'à la prochaine crise pétrolière, stoppé aussi bien en Suisse que dans l'Union Européenne pour des considération purement économiques. L'électricité produite dans des centrales à gaz ou à charbon revient meilleur marché et, vu le processus de libéralisation du marché de l'énergie électrique en cours, aucune compagnie n'ose aujourd'hui investir dans la filière nucléaire qui nécessite des capitaux très importants, comporte des coûts de démantèlement et de stockage des déchets supérieurs aux prévisions. Sans compter les risques énormes. N'a-t-on pas estimé le renchérissement lié à une éventuelle obligation d'assurer les centrales sans limites à 17 ct par kWh ?
Les dépôts de déchets nucléaires en Suisse et dans l'Union Européenne
En ce qui concerne le dépôt des déchets nucléaires, aucun pays n'a de solution pour les déchets de haute activité, qui de toute façon doivent refroidir pendant des décennies dans des dépôts intermédiaires avant d'être stockés. Un seul dépôt pour toute l'Europe, dans un site géologiquement favorable, devrait être envisagé pour minimiser les frais et augmenter la sécurité.
Quant aux déchets de faible et de moyenne activité, la France a un dépôt déjà fermé (la Manche) et un dépôt en service (l'Aube), l'Allemagne (Morsleben), l'Espagne (El Cabril), la Finlande (Olkiluoto et Loviisa), la Grande-Bretagne (Drigg) et la Suède (Forsmark) ont des dépôts en service.
La Belgique, les Pays-Bas et la Suisse, où les citoyens viennent de s'opposer par vote populaire au projet du Wellenberg, n'ont pour l'instant pas de dépôt.
Il est à relever que près du dépôt déjà fermé de la Manche, si l'on est un enfant, que l'on va à la plage et que l'on consomme des poissons et des crustacés, le risque de leucémie est trois fois plus élevé qu'ailleurs (selon les études du Dr. Jean-François Viel - Science & Vie décembre 95 et mars 97 et l'Hebdo 16.1.97)
Il est vrai que l'on ne saura jamais si cela est dû au centre de retraitement des déchets radioactifs de la Hague, à la centrale de Flamanville, à la base de sous-marins nucléaires de Cherbourg ou au centre de stockage des déchets nucléaires, d'autant plus qu'une recrudescence analogue des leucémies a été signalée près du complexe nucléaire de Sellafield en Grande-Bretagne... Si ces leucémies sont dues au retraitement, la Suisse, qui y retraite son combustible, est coresponsable !
Donc, en ce qui concerne le retraitement et le stockage des déchets, pas de différence notable entre Suisse et Union Européenne! La Suisse doit rechercher une collaboration au niveau européen, en tout cas pour les déchets de haute activité, car le stockage est moins dangereux dans le pays nordiques à cause du socle continental cristallin, plus stable que la région alpine.
Les échanges d'électricité entre la Suisse et l'Union Européenne
Enfin il ne faut pas oublier que le but de l'énergie nucléaire est la production d'électricité.
En ce qui concerne les échanges d'électricité on peut affirmer que la Suisse est déjà membre à part entière de l'Union Européenne. C'est même à Laufenbourg qu'a démarré l'intégration des réseaux électriques européens et que réside le centre névralgique des échanges entre réseaux. Depuis 20 ans les échanges de courant entre la Suisse et l'Union Européenne augmentent en moyenne de 8% par an.
Il faut savoir que les barrages suisses représentent un atout précieux pour répondre à la demande et éviter des pannes généralisées de courant en hiver aux heures de plus forte consommation. Les vannes peuvent être ouvertes en quelques secondes, alors que les centrales nucléaires doivent fonctionner de façon continue et être arrêtées juste une fois par an pour les contrôles et le changement d'une partie des barres de combustible.
Les électriciens suisses en ont profité pendant des décennies pour importer pendant la nuit et les week-end les surplus d'énergie électrique nucléaire très bon marché et pour exporter aux heures de pointe l'électricité produite par des barrages à accumulation. Le surplus actuel d'électricité sur le marché européen, dû à la crise économique, aux mutations en Europe de l'Est et à la surcapacité française ainsi que la libéralisation programmée du marché pour les gros consommateurs, rendent les règles du jeu plus complexes.
Des fusions et des collaborations encore plus étroites s'imposent, mais l'UBS et le Crédit Suisse, qui jusqu'à l'année passée contrôlaient les deux principaux acteurs suisses de ces échanges, au lieu de favoriser l'émergence d'un grand groupe helvétique, les ont vendus à des groupes électriques européens.
L'UBS a vendu sa participation de 40% dans Motor Columbus, qui contrôle l'ATEL, à EDF et l'allemand RWE, le Crédit Suisse a vendu le 42,5% de Watt, la branche électrique d'Electrowatt, qui comprend notamment Électricité de Laufenbourg SA, aux allemands Bayernwerk, Badenwerk et Energieversorgung.
Le romand EOS a conclu un accord de collaboration avec EDF.
La carte ci-jointe, mieux que toute phrase, illustre la toile d'araignée qui couvre la Suisse et la lie à l'Union Européenne.
Nucléaire ? La même résistance en Suisse et dans l'Union européenne!
Cet examen du nucléaire en Suisse et dans l'Union Européenne ne fait pas paraître des différences fondamentales. La situation varie d'un pays à l'autre. L'essentiel c'est d'empêcher les milieux qui, en Suisse, veulent restreindre les droits populaires et supprimer toute résistance écologique et sociale d'aboutir à leur fin sous prétexte de liens plus étroits à créer entre la Suisse et l'Union Européenne.
Préservons et renforçons nos droits populaires et un pouvoir décentralisé.
Le nucléaire, en effet, n'a pu être stoppé, même quand il paraissait économiquement rentable, que dans les pays où les citoyens ont leur mot à dire. A contrario il suffit d'examiner la situation dans les pays de l'Est ou en France, pour voir que dans les pays très centralisés, et/ou peu démocratiques, cette technologie meurtrière a pu se développer sans garde-fous.
"Le réseau pour sortir du nucléaire" a publié en mai 1997 un survol de la situation du nucléaire dans les différents pays de l'UE et de l'Europe (Sortir du nucléaire, Hors-Série No 2; mai 1997). On peut commander ce cahier intéressant auprès de: Les Européens contre Superphénix, 9, rue Dumenge F-69004 Lyon;
Tel. 4 78 28 29 22; Fax. 4 72 07 70 04
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