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Schizophrènes de tous les pays, unissez-vous!



La position de l'UE en matière de transports par poids lourds est ambiguë. D'un côté les positions défendues dans le cadre des négociations bilatérales et illustrées à l'extrême par la présidente du conseil européen des ministres des transports, Mme Jorritsme (en fonction jusqu'à fin juin), qui s'est fait connaître par ses propos sans nuances en faveur d'un transit alpin à bas prix. D'autre part, le livre vert de la commission "Une tarification équitable et efficace pour le trafic" (déc. 1995).

par Georges Kolb

Le point le plus sensibles aux suisses en matière de politique européenne des transports est celui des poids lourds (PL). C'est celui sur lequel s'achoppent les négociations bilatérales. Certains de ceux qui considèrent comme fondamentale une entrée de la Suisse dans l'UE seraient prêts à beaucoup de concessions sur ce point.

Il y aurait toutefois quelque hypocrisie à concentrer l'attention des suisses sur ce segment des transports. Dans l'état actuel, la voiture individuelle, en Suisse en tout cas, est le plus gros consommateurs d'énergie dans le domaine des transports, même s'il est vrai que sa part à la pollution globale décroît grâce au catalyseur et qu'en conséquence celle des PL augmente. Par ailleurs, en matière de consommation d'énergie et de pollution, il ne faut pas oublier le trafic aérien qui, selon certains experts, aura dépassé la voiture individuelle en 2005 pour la pollution. Et si l'on est en droit de se plaindre de ce que les PL comme la voiture individuelle d'ailleurs ne payent pas tous les coûts qu'ils occasionnent, il faut rappeler que le trafic aérien ne paye que les taxes d'atterrissage et ne s'acquitte même pas de la TVA. D'où des prix stupéfiants: entre 3 et 5 centimes le Km/passager, pour des charters long vol.

La position de l'UE en matière de transports par poids lourds est ambiguë. D'un côté les positions défendues dans le cadre des négociations bilatérales et illustrées à l'extrême par la présidente du conseil européen des ministres des transports, Mme Jorritsme (en fonction jusqu'à fin juin), qui s'est fait connaître par ses propos sans nuances en faveur d'un transit alpin à bas prix. D'autre part, le livre vert de la commission "Une tarification équitable et efficace pour le trafic" (déc. 1995).

Les propositions du livre vert sont intéressantes parce qu'elles prévoient un système de taxes différenciées en fonction du kilométrage, du lieu, du moment ainsi que de la pollution et du bruit spécifiques. Au lieu de taxes forfaitaires, on s'oriente vers une application du principe pollueur-payeur. Ce système n'est pas sans parenté avec la "redevance poids lourds proportionnelle aux prestations" (ci-après RPLPP) acceptée par le peuple suisse en 1994 mais non encore appliquée.

Trois lacunes du livre vert doivent cependant être signalées.

• Le livre vert ignore les coûts du changement climatique (comme d'ailleurs la RPLPP).
• La mise en oeuvre d'une tarification routière flexible sera longue (10 ans); il faut donc trouver une solution intermédiaire. Elle pourrait passer par une révision des taxes sur les carburants, le diesel en particulier, largement sous-taxé au regard de ses émissions nocives (particules cancérigènes, NOX à cause de l'absence de pot catalytique, CO2).


Selon T&E (lettre d'information de la fédération européenne pour le transport et l'environnement), une internalisation des coûts se traduirait par un doublement du prix de l'essence et un triplement du prix du diesel. • Un certain nombre de distorsions fiscales ne sont pas prises en compte dans le livre vert; ainsi l'encouragement aux investissements dans les pays à bas salaires a pour effet des déplacements de marchandises inutiles (par ex. transformation de lait allemand en yoghourt en Grèce et retour en Allemagne par camion bien entendu).


En juillet 96, la commission de l'UE a présenté une mesure d'application du livre vert, l'eurovignette, qui consiste en un ensemble de directives sur les taxes, droits d'usage et péages applicables aux poids lourds de plus de 12 tonnes. Par ces taxes, la commission veut inciter les transporteurs à choisir des véhicules moins polluants et qui détériorent moins l'infrastructure routière. Le niveau des taxes ne sera pas touché mais leur répartition le sera, ce qui devrait permettre des économies sur les coûts d'infrastructure et la réduction des émissions polluantes. Une harmonisation doit aussi en résulter. En outre, l'identification de "routes sensibles" pouvant faire l'objet de taxes plus élevées constitue une ouverture pour les pays de l'arc alpin.

Les hausses prévues par l'eurovignette seront modestes et n'affecteront les frais d'exploitation d'un transporteur que de 0,2%. Il n'en fallait pourtant pas plus pour que le lobby des PL ne pousse des hauts cris et ne prédise un impact économique intolérable alors que, selon les calculs de la commission, le prix payé par le consommateur pour les marchandises ne croîtrait que de 0.008%.

Si l'on situe ces taxes dans le contexte des négociations bilatérales, on s'aperçoit que leur montant ne suffit pas à opérer un passage de la route au rail. Pour la traversée complète du pays, les Suisses demandaient initialement 350 écus (600.-) et l'UE propose 94 écus dès 2001 et 190 au maximum dès 2005.

L'eurovignette a, de plus, la même faiblesse que toutes les incitations qui se fondent sur une amélioration technique des véhicules: elles sont contrebalancées par l'augmentation du trafic. Ainsi, selon les estimations de T&E, entre 1990 et 2010, la croissance de la circulation routière pour les passagers sera de 25% et celle des marchandises de 40%.

En résumé, la politique de l'UE en matière de transports est schizophrénique (d'un côté le livre vert, de l'autre une eurovignette fort légère et pourtant contestée). Mais l'attitude de l'UE trouve sont pendant dans la politiqe suisse où le lobby routier et les partis bourgeois suisses sabotent l'introduction de la taxe PL proportionnelle aux prestations.

Pourtant, au niveau des instances exécutives (Conseil fédéral d'un côté et commission de l'autre) on trouve une convergence dans les principes que représentent la RPLPP et l'eurovignette. Chaque avancée de l'un des dossiers est profitable à l'autre. La fermeté des négociateurs suisses a eu pour effet de stimuler le débat interne de la communauté européenne. L'attitude de ceux qui sont prêts à n'importe quel compromis dans le cadre des négociations bilatérales ne va au devant que d'une partie des forces au sein de l'UE: celle du lobby routier et des libéraux de tout crin pour qui seul compte le court terme.

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