b«Le modèle social nordique tel qu’il a prévalu dans les pays nordiques avant leur adhésion à l’Union Européenne pourrait constituer une alternative valable par rapport à l’intégration européenne.» Celui qui ose affirmer ceci aujourd’hui risque fort d’être considéré comme un sentimental d’une autre époque. Ne nous laissons cependant pas intimider.
Ulla Klötzer, Présidente du mouvement «Alternative à l’UE - Finlande» Membre du bureau de «The European Alliance of EU-Critical Movements, TEAM»
En tant que femme engagée dans les années 80 pour la protection de l’environnement, pour les droits des femmes, pour la paix et pour le Tiers-monde, j’ai souvent eu l’occasion de participer aux congrès et aux rencontres internationaux et j’ai pu constituer un cercle d’amis à l’étranger. Souvent, lors de ces rencontres, j’étais fière de mes origines. Depuis longtemps les populations des pays nordiques étaient sensibles aux questions d’environnement. Leurs gouvernements menaient dans ce domaine une politique progressiste qui a parfois servi d’exemple aux autres pays. Cette situation a aujourd’hui totalement changé. Nous sommes maintenant obligés de nous soumettre aux directives de l’UE. Contraints à des compromis, nous ne jouons plus le rôle d’avant-garde comme auparavant.
Réduction du secteur public comme conséquence de l’adhésion à l’UE
Le secteur public dans les pays nordiques a été constitué contre maints obstacles dans les années 70 et 80 avec une forte participation des femmes. Le résultat de ces luttes a été l’égalité et la sécurité des femmes sur le plan social, mais également leur présence sur le marché du travail. La politique de plein emploi, pour l’égalité des salaires et pour l’égalité des chances entre hommes et femmes, menée dans une atmosphère de consensus, a donné confiance aux populations concernées dans l’avenir et a permis au jeunes de faire des projets pour leur avenir en assumant les engagements économiques correspondants. La Finlande en particulier menait une politique régionale active visant à satisfaire les besoin de toute la population. Les villages les plus reculés disposaient d’un bureau de poste, d’une banque, d’une école, d’une clinique et d’une bibliothèque.
Tout a changé depuis les années 90 lorsque les gouvernements ont réorienté leur politique dans le but de satisfaire les critères de convergence imposés par l’UE. Alors ont été faites des coupes claires dans les services publics dans le but d’une «efficacité renforcée» conduisant à la suppression de nombreux emplois jugés pas assez rentables. Les résultats de cette politique sont : un vieillissement progressif des populations villageoises, un effondrement des structures sociales sur le plan local avec une urbanisation rampante autour des grandes agglomérations. Les hopitaux manquent de personnel; les classes dans les écoles ont des effectifs trop nombreux; les groupes d’enfants dans les maternelles sont trop grands et les places manquent dans les maisons de retraite. Sous la pression de l’UE qui prône la libéralisation totale et la concurrence libre comme valeurs supremes, une vague de privatisations a atteint le secteur public. Un cauchemar a commencé pour tous ceux qui s’étaient engagés pour une politique du bien-être social selon le modèle nordique. La peur du chômage se répand dans les entreprises et les employés sont souvent obligés d’accepter des conditions de travail qui auraient été impensables il y a dix ans encore.
Adieu à la politique progressiste de paix et de développement
Dans le passé, les pays nordiques ont joué un rôle qui dépassait de loin leur petite taille dans le domaine de la politique internationale, notamment en ce qui concerne le désarmement, la solution pacifique de problèmes internationaux et le dialogue Est-Ouest. La Finlande, par exemple, a plusieurs fois organisé des rencontres Est-Ouest importantes, ce qu’elle pouvait faire non seulement grâce à sa situation géopolitique particulière mais aussi parce qu’elle disposait d’hommes politiques habiles qui s’engageaient pour leurs idéaux. Les gouvernements des pays nordiques et leurs populations ont aussi été très actifs en ce qui concerne la solidarité avec le Tiers-monde. Les mouvements de femmes en particulier ont eu une grande influence en ce sens, d’une part par des projets qu’ils mettaient au point eux-mêmes, mais aussi en modifiant le contexte politique par pression sur les instances politiques.
Aujourd’hui nos hommes et femmes politiques - souvent eux-mêmes et elles-mêmes actifs pour la paix dans les années 70 et 80, telle la présidente finlandaise Tarja Halonen et le ministre des affaires étrangères Erkki Tuomioja -
ferment les yeux et sont sourds lorsque les forces de l’OTAN lancent des bombes sur le Kosovo avec l’accord de l’UE sans déclaration de guerre et contre le droit international et lorsque l’Afghanistan est attaqué. Les voix des hommes et femmes politiques qui sont pour le désarmement et contre la nouvelle politique d’interventions armées ne sont plus entendues. En Finlande, l’adhésion à l’OTAN est activement préparée dans les coulisses du monde politique. Aujourd’hui les personnages politiques ne parlent plus des normes des Nations Unies à respecter pour l’aide au Tiers-monde. On se vante de maintenir l’aide au Tiers-monde au niveau actuel, pourtant déjà bas. La voix des nombreuses organisations oeuvrant pour le développement du Tiers-monde ne sont plus entendues. L’accablement et la désillusion ont fini par toucher ceux qui ont toujours mené le même combat sans succès.
Démotivation politique de la population
Il y eut une époque où la participation assez active de la population des pays du Nord dans la politique et les élections était une raison de fierté. En Finlande, depuis la deuxième guerre mondiale et jusqu’au moment de l’adhésion à l’UE, le taux de participation aux élections a toujours été de l’ordre de 80%. Par exemple, la participation aux élections municipales de 1980 a été de 78%. Elle est tombée à 56% en 2000. Si, en 1983, le taux de participation aux élections législatives s’élevait encore à 81%, seuls 60% des électeurs se sont déplacés en 1996 et seulement 31% en 1999! La raison de cette démobilisation d’une société auparavant politiquement active se trouve dans l’harmonisation progressive des partis politiques au fur et à mesure que l’intégration européenne progresse. Les gens n’arrivent plus à distinguer ce qui sépare les différents partis. La marge de manœuvre politique au niveau national a été fortement réduite au profit des instances de Bruxelles et la pression politique qu’on peut exercer sur les personnages politiques locaux ou nationaux n’a ainsi plus de poids réel. Alors pourquoi aller voter?
Comment le démontage du modèle social nordique a-t-il été possible dans des délais aussi brefs? A mon avis ce résultat fut le fruit d’intérêts convergents :
(1) La globalisation progressive dictée par les grandes entreprises multinationales pèse sur les salaires et les institutions sociales réputées «trop chères». Dans les pays caractérisés par un niveau élevé de Sécurité sociale financée par les rentrées d’impôts, il reste moins d’argent aux ménages pour la consommation. Ce qui déplaît évidemment aux multinationales. De plus, une population qui se sent en sécurité est moins manipulable. Elle n’acceptera pas facilement une réduction des instruments démocratiques au lieu de travail ou des horaires de travail difficiles à concilier avec une vie normale. De tels buts sont plus faciles à imposer lorsque la population active est inquiète. N’oublions d’ailleurs pas que l’UE joue un rôle important dans la mondialisation.
(2) Les hommes et femmes politiques cherchent à se dérober de leur responsabilité et à ne plus à avoir justifier des mesures impopulaires devant leur Parlement et leurs électeurs. L’UE vient à point nommé pour porter la responsabilité et servir de bouc émissaire pour les décisions suscitant l’opposition de la population.
(3) La population des pays nordiques a été abusée lors des référendums de 1994 concernant l’adhésion à l’UE (et en fait déjà auparavant au Danemark). On nous avait promis que nous pourrions ensemble faire valoir nos valeurs et notre point de vue nordique au sein de l’UE et que nous aurions un poids important à Bruxelles. L’inverse s’est produit: nos pays sont en train d’être mis au pas et rendus «globalisables» et «intégrés» sans qu’on tienne compte de notre spécificité.
Il est clair que le modèle social nordique va à l’encontre de la tendance mondialiste. Ce modèle n’est donc pas supportable pour les instances de l’UE. Une population de citoyens et citoyennes responsables, solidaires et conscients des problèmes d’environnement est incompatible avec les ambitions mondialistes des grandes entreprises multinationales et de l’UE. Il est donc urgent de la déposséder de son influence pour que le projet de superpuissance puisse voir le jour.
Une alternative si proche...
Il ne faut pas chercher loin pour trouver une alternative au projet de grande puissance de l’UE. Il faut que les Etats retrouvent une marge de manœuvre politique et qu’ils l’utilisent pour promouvoir l’égalité des droits, la paix, le respect de l’environnement, la solidarité dans le monde et la responsabilité pour l’avenir. Je souhaite donc formuler les revendications suivantes :
- Des référendums populaires doivent avoir lieu concernant la Constitution européenne qui est en projet et l’élargissement de l’UE.
- Des votations populaires doivent également avoir lieu sur les traités d’Amsterdam et de Nice. Ces traités n’ont jamais été véritablement été présentés et expliqués aux peuples nordiques.
- De nouvelles votations sont nécessaires sur le traité de Maastricht (en particulier sur les volets concernant la monnaie unique et la politique commune en matière de sécurité et de défense).
- A mon avis, une fois notre liberté politique reconquise, il faudra reconstruire le modèle social nordique et revaloriser la politique environnementale.
- Il faudra également collaborer dans un esprit d’égalité avec tous les pays et les peuples qui partagent nos idéaux, pour la paix et pour la sauvegarde de l’environnement.
Ces revendications peuvent sembler utopiques. Elles correspondent cependant à une réalité du passé. Oeuvrons pour qu’elles redeviennent une possibilité de l’avenir.
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