L'avenir de notre alimentation est trop important pour le laisser aux mains de l'industrie. La CPE appelle donc les consommateurs/citoyens à tout mettre en oeuvre pour imposer un débat de société clarifiant les enjeux éthiques, économiques, sanitaires, environnementaux. La CPE demande aux agriculteurs, aux acteurs sociaux, aux associations, aux consommateurs, de développer des actions pour informer la population et enrayer l'immixtion sans débat de ces technologies dans le domaine alimentaire et les autres domaines.
La Coordination Paysanne Européenne, Membre de Via Campesina, Rue Stévin 115 - 1000 Bruxelles tel: 32 2 230 07 76 fax: 32 2 230 03 48 e-mail: cpe@knooppunt.be
La situation actuelle
L'utilisation des technologies génétiques représente une nouvelle étape, après la mécanisation et la chimie, dans le processus d'industrialisation de la production. Les enjeux financiers étant énormes si la production devient dépendante des produits technogénétiques, on assiste à une formidable concentration au niveau mondial des firmes de semences et des firmes chimiques.
Par ailleurs une grande partie des technologies génétiques est utilisée dans le domaine microbiologique, que ce soit pour la production ou la transformation de "matières premières" agricoles. On se rapproche de l'étape ultime de l'industria-lisation de la production alimentaire, qui pourrait se passer complètement des paysans, voire du sol.
La majorité des investissements va surtout en direction de la mise au point de produits qui peuvent à la fois augmenter la dépendance des paysans vis à vis de ces firmes et augmenter les bénéfices de ces firmes. C'est pourquoi la plus grande partie des produits concernent des hybrides, des plantes résistantes à un herbicide de la firme, des hormones de croissance animale,...
Terminologie
La CPE récuse l'emploi du mot "bio-technologie", inventé par l'industrie pour donner une image favorable dans l'opinion publique des techniques génétiques. Ce terme oublie bien entendu le mot génétique.Nous lui préférons donc le terme de "technologie génétique".
Non-transparence et "forcing" des firmes multinationales
Il n'y a pas de transparence dans le développement et la mise en marché des produits. Les firmes essaient d'imposer leurs produits contre la volonté des consommateurs. Les bases scientifiques des technologies génétiques étant encore mal connues, les résultats proviennent surtout de longs essais de "trial and error", les "réussites" étant rares et quelque peu chanceuses. Ces résultats sont mis sur le marché pour amortir les investissements en recherche, mais ils ne sont en rien une réponse aux problèmes de l'agriculture. Le marché est forcé de s'adapter aux produits, au lieu que ces produits répondent à un besoin du marché.
Les technologies génétiques apportent-elles un progrès à l'agriculture et à l'alimentation?
La CPE s'exprime en faveur d'une agriculture paysanne, durable. La technologie génétique, jusqu'à maintenant, n'a pas offert de solutions avantageuses pour les paysans ou les consommateurs concernant les problèmes agricoles actuels. Elle ne soutient pas nos objectifs et va même à leur encontre:
elle augmente la dépendance des agriculteurs vis à vis des firmes multi-nationales. La recherche des hybrides-F1 avec cette technologie en est un exemple.
elle apporte des risques importants pour les consom-mateurs en mettant sur le marché des aliments dont on ne connaît pas les conséquences pour la santé.
elle apporte des risques importants pour l'environnement: le problème de la dissémination des organismes généti-quement modifiés (OGM) n'est pas maîtrisable. Ce qui signifie qu'il est impossible de prévoir leurs effets dans l'environ-nement, surtout pour les micro-organismes, qui se multiplient à très grande vitesse.
Nous n'avons donc pas besoin de cette technologie, telle qu'elle est développée aujourd'hui. L'industrialisation de l'agriculture a déja causé assez de dégâts. Nous ne voulons donc pas encourir de risques inutiles.
La technologie génétique ne résoudra pas le problème de la faim dans le monde
Avec la révolution verte on nous avait promis de supprimer la faim. Aujourd'hui, on en reparle avec la technologie génétique. Or la faim progresse: elle n'est pas un problème technique de production, mais un problème politique, celui d'une répartition juste de la production et de la consommation. (cf texte CPE pour le sommet FAO de Rome, nov 1996). Au lieu de faire miroiter une nouvelle solution technique afin d'obtenir des crédits publics pour la recherche privée, au lieu de s'engager dans un brevetage des produits vivants issus des technologies génétiques, qui se ferait au détriment des pays du Sud, il est urgent d'engager des actions concrètes pour sauvegarder les ressources génétiques pillées par les pays du Nord et déjà terriblement mises en danger par l'agriculture intensive.
La situation au niveau mondial
Les grandes firmes utilisent le manque de présence des pouvoirs publics au niveau international pour pousser leurs intérêts. A travers l'accord du GATT, le Codex Alimentarius, et leur comportement sur les marchés, les firmes mettent les populations devant le fait accompli en ce qui concerne l'introduction de la technologie génétique. Le maïs et le soja modifiés en sont de bons exemples! Les firmes privées imposent le rythme, les pouvoirs publics suivent.
Le débat éthique
Les questions éthiques sont primordiales dans le débat sur les technologies génétiques. Mais elles relèvent avant tout d'un questionnement de chaque citoyen envers la société. En tant qu'organisation professionnelle européenne, la CPE se limitera aux questions éthiques liées au domaine agricole et alimentaire. Elle invite cependant chaque citoyen à s'interroger sérieusement sur les enjeux éthiques de l'utilisation des technologies génétiques dans tous leurs domaines d'appli-cation. L'utilisation de gènes tout à fait étrangers à une espèce (par ex des animaux vers les plantes ou inversement) ne risque-t-elle pas de bouleverser l'évolution naturelle du monde vivant engagée il y a 5 milliards d'années? La CPE s'interroge aussi sérieusement sur la nécessité pour la société de développer la xeno- transplantation (production par des animaux d'organes pour les transplantations humaines) et la production de médicaments par les animaux.
La CPE demande la constitution d'un Comité d'Ethique Européen, indépendant du pouvoir économique, qui décide des limites à ne pas franchir en matière de recherche et d'application. Ce Comité ne devrait pas répondre seulement aux surenchères de généticiens financés par l'industrie privée.
Quelle réponse de la CPE à la situation actuelle?
Parce que la technologie génétique développée pour l'agriculture et l'alimentation jusqu'à maintenant n'apporte aucun avantage ni pour les paysans ni pour les consommateurs, parce qu'un large débat dans la société n'a pas eu lieu et parce que les risques sont trop méconnus, la CPE propose un moratoire sur l'introduction de cette technologie en agriculture.
I. La CPE demande aux paysans de réagir face à l'intro-duction de produits comme le maïs modifié et le soja modifié. Les paysans ont une responsabilité propre. Ils ont un pouvoir décisionel concernant leur approvisionnement. La CPE leur propose d'exiger de chaque fournisseur la transparence concernant la composition des produits qu'ils achètent (intrants, alimentation de bétail), indiquant s'ils sont produits avec la technologie génétique, afin de pouvoir décider leur achat ou leur refus d'achat en toute connaissance de cause. La CPE demande aux transformateurs et distributeurs d'alimentation de bétail de refuser l'utilisation des produits issus de la technologie génétique.
II. Changer profondément la règlementation de mise en marché, pour qu'elle réponde aux besoins de la société. Le principe de précaution doit prévaloir. Nous avons besoin d'une règlementation qui ne mette sur le marché que des produits bénéfiques aux citoyens. Les règlements en cours n'interdisent presque aucune mise en marché. Ils sont surtout là pour rassurer l'opinion publique! De plus l'industrie souhaite encore une forte dérégulation.
Les commissions et comités donnant leur avis aux décideurs politiques sur les autorisations de mise en marché doivent être interdites aux représentants de l'industrie, qui ne pourraient qu'y être auditionnés. Les pouvoirs publics doivent réagir et intervenir de manière plus forte et garantir une évaluation selon les besoins de la société et non pas selon les besoins de l'industrie.
III. Créer un accès complet des citoyens à l'information garantie par une législation européenne.
IV. Définir une politique agricole et alimentaire qui donne confiance aux consommateurs. Les consommateurs n'ont guère confiance dans cette technologie, ce que montrent les sondages. Cela est lié à des risques réels et à des problèmes déja existants. Tirons les leçons de la crise ESB! Il faut chercher une façon de produire, de transformer et de distribuer, qui aura la confiance des consommateurs.
V. Responsabiliser pénalement les firmes en cas d'accident ou de destruction des méthodes de production appliquées en agriculture paysanne. Il ne faut pas répéter le scandale ESB: on met sur le marché des produits dangereux et les responsables sont ensuite difficiles à trouver........ C'est aux firmes de prouver que les produits ou technologies qu'elles développent ne sont pas dangereux à court et long terme pour les humains, animaux, plantes, environnement, et non à la collectivité de le rechercher.Pour ne pas répéter le drame de l'ESB, il faut également clarifier à l'avance et engager la responsabilité des pouvoirs publics, qui prennent les décisions d'autorisation.
VI. Pour une recherche publique indépendante, ré-orientée vers les besoins de la société: Aujourd'hui l'industrie masque les problèmes et fabrique de grands espoirs pour pouvoir mobiliser pour la recherche privée des sommes énormes provenant des fonds publics. Il faut que l'argent public soit dépensé pour soutenir une recherche indépendante du pouvoir économique, qui parte des problèmes à résoudre et non d'un technologie à vendre. Les pouvoirs publics ont également l'obligation d'évaluer à travers la recherche la valeur "ajoutée" pour la société et les risques qui vont avec, ce qui n'est pas le cas actuellement. Il faut cesser le financement de projets de recherche publique par l'industrie privée,mais investir fortement dans la recherche de technologie durable socialement et environnementalement.
Les dossiers actuels
1) Maïs génétiquement modifié: La CPE appelle les agriculteurs et consommateurs à se mobiliser contre cette capitulation scandaleuse face aux intérêts commerciaux de quelques firmes.
Sur le plan agronomique, la culture de ce maïs manipulé pour produire une toxine biologique contre des insectes parasites (celle du bacillus thurigensis) est une attaque en règle des firmes chimiques contre les méthodes de lutte biologique, qui utilisent cet insecticide biologique depuis des décennies. Le dévelop-pement à grande échelle d'insectes résistants ruinera cette pratique. Sur le plan environnemental, la résistance de ce maïs manipulé à l'herbicide glufosinate va augmenter l'utilisation de cet herbicide. Sur le plan de la santé humaine et animale, le risque de développement chez l'Homme et les animaux de la résistance à l'antibiotique contenu dans ce maïs manipulé ne peut être négligé. Il y avait donc au moins trois raisons importantes pour interdire ce maïs transgénique, dont n'ont besoin ni les agriculteurs, ni les consommateurs.
2) Le soja modifié: La CPE contre l'importation dans l'UE du soja génétiquement modifié. La CPE s'exprime contre l'acte de "forcing" exercé par Monsanto, qui essaie à tout prix de mettre son soja génétiquement modifié sur le marché de l'UE, sans qu'un débat public ait eu lieu et sans règlementation appropriée. Les risques pour les consommateurs sont mal connus. Par contre des effets négatifs pour l'environnement existent: une utilisation persistante et probablement croissante de pesticides comme Round-up, et la propagation de la résistance à l'herbicide chez les mauvaises herbes.
3) La directive européenne adoptée en janvier 1997 sur les aliments modifiés témoigne une fois encore de la priorité donnée par l'UE aux intérêts de l'industrie plutôt qu'à un principe de précaution vis à vis des consommateurs. Elle ouvre grand la porte à une nouvelle phase accélérée dans le processus d'industrialisation de la production alimentaire. Aucune leçon n'est tirée du scandale de la vache folle. Alors qu'ils réclament la transparence, les consommateurs ne pourront choisir et n'en sauront pas plus des procédés de fabrication des produits alimentaires, qui les éloignent de plus en plus de la production agricole.
4) La CPE opposée aux brevets sur les êtres vivants.
5) hormones de croissance bovine (BST), porcine (PST), ovine (OST), salmonide,etc...). La CPE demande leur interdiction définitive dans l'UE et au niveau international.
6) pour une interdiction du clonage des animaux en agriculture. D'un point de vue éthique, le clonage procède d'une attitude identifiant les animaux d'élevage à des objets et l'élevage à un processus industriel. La CPE condamne une telle attitude, qui fait des agriculteurs de simples techniciens presse-bouton et fait des animaux de simples numéros. D'un point de vue économique et politique, l'agriculture n'a pas besoins d'animaux clonés: il y aurait plutôt des risques sanitaires à conduire des troupeaux clonés. La biodiversité agricole,déjà très appauvrie par la sélection génétique classique mise au service d'une forte intensification de la production, doit au contraire être développée.
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