Übersicht Dossiers Europäische Union Wirtschafts- und Währungsunion Une victoire d’une ampleur inattendue !: Le Non des Suédois a été bien réfléchiLe 14 septembre 2003 pourrait bien entrer dans l’histoire de l’Europe comme une date importante. C’était le jour du référendum sur l’Euro en Suède. Le résultat de la votation a été une victoire claire du « Non ». 55.9% des Suédois participant à la votation se sont prononcés contre l’adhésion à l’Union monétaire et économique alors que 42.0% ont voté pour. Vu le taux de participation de 83%, la légitimité démocratique du scrutin ne fait pas de doute.
par Tony Johansson, Suède*
Les ouvriers, les femmes et la jeunesse contre l’élite politique et économique
La présidente du syndicat ouvrier suédois (LO) Wanja Lundby Vedin a admis après le scrutin que la séparation entre les « pour » et les « contre » correspondait bien à la séparation entre les couches sociales. Dit crûment, les riches ont voté « oui » alors que les pauvres ont voté « non ». Vedin lui-même était pour l’adhésion à l’Union monétaire bien que son syndicat eût officiellement adopté une position neutre. Aveu important et en même temps révélateur ! Il nous montre en réalité que l’élite politique - et les dirigeants syndicaux en font partie – ne représente pas ceux dont ils sont les porte-parole et qui les ont élus.
Examinons, pour étayer cet argument, les résultats d’un sondage qui a été effectué après la votation par l’organisation VALU :
53% des sympathisants de gauche (sociaux-démocrates) ont voté contre et 45% ont voté pour. Trois députés sociaux-démocrates sur quatre se sont en même temps prononcés pour l’Euro. Selon une autre enquête, 70% des responsables locaux et régionaux auraient fait campagne pour le oui alors qu’environ 4% auraient fait campagne contre.
69% des membres du syndicat ouvrier LO ont voté non ainsi que deux sur trois chômeurs. Cependant, comme nous l’avons déjà souligné, la présidente du même syndicat était en faveur de l’Euro tout en se disant neutre. Le syndicat des industries du métal et du papier a même œuvré activement du côté des « pour ».
65% des femmes ont voté non. Bien que l’organisation des femmes de gauche ait organisé un sondage au sein de ses membres il y a quelques années dont le résultat était clairement contre l’Euro, l’ancienne présidente et son successeur actuel ont toutes les deux fait campagne pour l’Euro.
70% des jeunes (18 à 21 ans) ont voté non et un sondage qui a été effectué auprès des moins de 18 ans a donné le même résultat. L’organisation des jeunes sociaux-démocrates (SSU) s’est cependant officiellement prononcée pour l’Euro lors de son congrès en août 2003 entérinant ainsi une décision prise en 2001.
Lorsque Tage Erlander, le chef légendaire des sociaux-démocrates suédois, premier ministre pendant 23 ans de 1946 à 1969, s’est retiré de la politique, il donna à son successeur Olof Palme le conseil suivant : « Il faut écouter la base ». Les dirigeants actuels ne suivent visiblement plus ce conseil.
L’élite politique et les milieux industriels ont penché dans le même sens pendant la campagne. Trois petits partis politiques seulement – les verts, les centristes et le parti de gauche – ont fait campagne contre le projet. Tous les autres partis - certains d’entre eux étaient jadis des adversaires - se sont unis dans le oui : les modérés (un parti de droite qui comprend des conservateurs, des libéraux et des néo-libéraux), le parti social-démocrate, les démocrates chrétiens et les libéraux.
La campagne pour le projet a été financée en grande partie par l’organisation patronale Svenskt Näringsliv. Les chiffres concernant le montant d’argent dépensé par cette organisation varient. Si l’on s’en tient au chiffre le plus bas, il s’agirait de 200 millions de couronnes suédoises (SEK, environ 35 millions de francs suisses). L’autre chiffre, plus exact semble-t-il, serait de 500 millions de couronnes (87 millions de FS). Il faut y ajouter la contribution de l’Etat, presque 60 millions de couronnes (10,5 millions de FS), de sorte que le budget total de la propagande pour le oui se chiffre entre 260 et 560 millions de SEK ou entre 45 et 98 millions de FS. Ce budget doit être comparé à celui des partisans du non disposant d’une somme de 55 millions de SEK ou 9.6 millions de FS, soit un rapport situé entre 4.7 :1 et 10.2 :1, ce qui révèle un déséquilibre flagrant.
b Arrogance des perdants
A l’issue du scrutin, de nombreuses personnalités qui avaient fait campagne pour le projet ont tenté d’expliquer les raisons de leur échec. Certains commentaires - surtout ceux faits par les hommes politiques de Stockholm et les éditorialistes des grands quotidiens de Stockholm libéraux et conservateurs – montrèrent un mépris prononcé pour le peuple ordinaire et les habitants des campagnes, en particulier ceux du nord du pays. L’ancien chef du parti des modérés, Ulf Adelsohn, dit, une fois le résultat de la votation connu : « Il a fallu évidemment que ce soit non, un non clair et net. Que pouvait-on attendre de mieux de ce peuple-là ? Ils sont planqués à Borlänge et attendent que les indemnités sociales arrivent ». (Borlänge est une ville du nord de la Suède qui a voté non à 67.5%). Un éditorialiste du nom de Richard Schwarts écrivit dans un des plus grands quotidiens de Suède : « Qui a eu cette stupide idée d’organiser un référendum sur l’Euro ? … C’est une question trop compliquée pour être soumise à la démocratie directe ». L’article en question se termine par une tirade contre les couches sociales inférieures « ignorantes et dépourvues d’intelligence ». D’autres commentateurs ont insisté sur le décalage entre le niveau d’information de la population et celui des élites. Selon eux, le oui l’aurait emporté si le peuple avait été bien informé et il s’agirait donc d’un problème de communication.
Remarquons d’abord que, selon leur situation géographique, les gens ont effectivement voté de façon différente. Le oui n’a ainsi récolté dans aucun des districts du nord plus de 29.8% des votes. Par contre, à Stockholm, le oui l’a emporté avec 56.1% des votes. Il faut voir aussi cependant qu’une minorité de la population vit à la campagne et au nord du pays. En réalité, il n’y eut que deux régions qui votèrent pour l’adhésion à l’Euro: Skåne, au sud, et Stockholm. Mais même ces régions ont, en raison de leur grande population, bien contribué à la victoire du non. S’ajoute le fait que la troisième région quant à sa population, Västra Götaland (avec Göteborg comme capitale), a voté non. Dans ces trois régions 1'430'797 votants ont dit non, ce qui correspond à 44% de tous les votes négatifs de l’ensemble de la Suède.
Deuxième remarque : il nous semble arrogant d’expliquer les votes négatifs par de l’ignorance. De tels arguments mènent tout droit à la conclusion que la capacité de compréhension des tenants et des aboutissants du vote dépend du niveau des revenus et que, dans la question de l’Euro, il s’agit de connaissances plutôt que simplement d’intérêts. Dans le cas de l’Euro justement, l’intérêt des couches aisées et mobiles ne coïncide pas avec celui des couches plus modestes de la population.
b Une décision raisonnable
Les opposants de gauche au projet économique ont fait valoir pendant et après la campagne l’argument que le comportement des votants en fonction de leur niveau social est compréhensible et raisonnable en ce qui concerne les couches modestes et qu’il n’a rien à voir avec le niveau d’éducation et d’information. Il paraît en effet tout à fait normal que les ouvriers, les femmes et les couches défavorisées votent contre un tel projet. Ces milieux couraient les plus grands risques dans l’éventualité d’une adhésion à l’Euro. On pouvait raisonnablement supposer que le niveau du chômage en Suède pourrait croître dans le cas d’une adhésion. A long terme, il est prévisible que l’union économique et monétaire va forcer l’Union Européenne à centraliser les politiques économiques et en particulier les dépenses et, du coup, à centraliser aussi la politique sociale. Or le modèle social suédois pourrait ainsi être mis en péril et il est évident que les ouvriers, les femmes et les couches défavorisées seraient les premiers perdants dans l’affaire.
Dès que la politique monétaire sera centralisée et pilotée à partir de Francfort et ajustée selon les besoins de la moyenne de la zone Euro, il sera difficile pour les Etats d’influencer la conjoncture dans leur propre pays. Le cours flexible de la couronne suédoise a dans le passé permis d’absorber des chocs conjoncturels. En période de prospérité, la valeur de la couronne augmente et empêche ainsi une surchauffe de l’économie. En période de récession par contre, la monnaie perd de sa valeur et ainsi les exportations deviennent plus compétitives. La flexibilité du cours des monnaies est l’un des piliers de la politique keynésienne classique qui stabilise ainsi le marché du travail et permet d’éviter un chômage trop massif.
Les taux d’intérêts communs de la zone Euro ont également un effet déstabilisateur. Le taux nominal est fixé à Francfort en prévision du taux d’inflation moyen attendu. La banque centrale européenne vise à stabiliser le taux d’inflation annuel dans l’intervalle de 0 à 2%. Ce taux correspond aux besoins de tous les pays si chaque pays est très près de la moyenne. Une telle situation n’est pas en principe impossible mais tout de même très improbable dans la réalité.
La réalité nous montre que l’Irlande est actuellement en période de boom alors que l’Allemagne se trouve en récession. Ainsi l’Irlande aurait besoin d’un taux d’intérêt nominal plus élevé et l’Allemagne d’un taux plus bas. Comme conséquence du taux unique appliqué dans la zone Euro, l’Allemagne s’enfonce dans la crise alors que l’inflation monte en Irlande avec le risque d’une perte de compétitivité. Il ne serait pas étonnant en effet que l’Irlande finisse par entrer en récession comme la Suède au début des années 90 mais sans disposer comme celle-ci de sa propre monnaie qui peut, en cas de nécessité, être dévaluée.
Considérons maintenant le taux d’intérêt réel. On verra qu’un taux unique non seulement a pour conséquence de rendre le pilotage de la conjoncture plus difficile pour les Etats membres mais qu’il déstabilise la zone Euro toute entière. Le taux réel correspond à la différence entre le taux nominal et le taux d’inflation. Le taux d’inflation sera en général le plus élevé pendant une période de boom et le plus bas pendant une récession. Donc, à taux nominal égal, un pays en récession comme l’Allemagne aura le taux réel le plus élevé alors qu’un pays en période de prospérité comme l’Irlande aura en fait un taux réel négatif. Cette situation est exactement contraire à celle qui serait favorable à l’économie dans chaque pays. Nous voyons donc que l’Euro peut avoir des conséquences déstabilisant l’économie, le marché du travail et les finances publiques. La lutte contre le chômage de masse devient difficile.
Il ne faut donc pas s’étonner si les couches sociales dont la situation sur le marché du travail est la plus fragile ont dans leur majorité voté contre l’adhésion à l’Euro. Il s’agit donc d’une décision raisonnée. Ces gens n’ont tout simplement pas voulu courir le risque de voir le chômage augmenter et le système social dont ils dépendent être démantelé.
b L’avenir de l’ Europe
On pourrait contrer ces arguments en arguant que tous ces problèmes se posent également à l’intérieur de chaque pays. Une partie du pays se trouve en récession alors que l’autre prospère. C’est vrai. Mais il faut voir aussi que dans la plupart des pays le marché du travail est dans une grande mesure intégré et que le degré de migration interne est élevé. Ces facteurs contribuent à absorber les chocs économiques et à diminuer les inégalités. Par leur politique en matière d’impôts et de système social, les Etats peuvent aussi diminuer les inégalités internes régionales, sociales et économiques. Les richesses sont ainsi redistribuées et dans une certaine mesure transférées d’une région vers une autre.
Si la zone Euro veut bien fonctionner, il faudra créer de tels mécanismes de rééquilibrage à l’échelle européenne. Il faudra en même temps créer un marché du travail totalement intégré. Ceci ne pose pas de problèmes si les gens ont envie de déménager d’un pays dans un autre. Mais, dans la mesure où les gens restent attachés à leur pays d’origine, ceci peut provoquer des problèmes sociaux à grande échelle. Il faudra également gérer les finances de façon centralisée avec des impôts centralisés et une politique sociale centralisée. Du point de vue de la Suède, cette évolution ne semble pas attractive. Le système social suédois a permis la société la plus équilibrée du monde en ce qui concerne le niveau des revenus et la plus équilibrée aussi en ce qui concerne l’égalité des sexes. Les mouvements ouvriers suédois seraient heureux si cet exemple faisait école mais n’ont guère envie de renoncer à ce système chez eux.
Il paraît logique qu’une monnaie unique conduise, à terme, à une gestion des finances unique. Ce n’est pas seulement la théorie qui préconise cette étape, c’est l’histoire qui nous l’enseigne. On ne connaît pas en effet d’exemple d’une union monétaire durable qui n’aille de pair avec une gestion des finances commune. Il s’en suit que l’union monétaire en Europe est forcément conçue comme une étape vers la formation des Etats-Unis de l’Europe. Ainsi le projet constitutionnel discuté actuellement prévoit un transfert accentué des pouvoirs décisionnels vers les instances européennes. La majorité qualifiée s’appliquera à plus de décisions au Conseil des Ministres ; la politique extérieure et le contrôle des flux migratoires seront centralisés. En même temps la militarisation de l’Union sera accélérée.
L’ancien président de la République française François Mitterand dit une fois que le projet européen ressemblait à la pratique du vélo : si l’on s’arrête, on tombe. Je suis pour ma part d'avis que cette vision de l’Europe n’est pas réjouissante, qu’elle est en fait dangereuse puisqu’elle met en péril la démocratie et la collaboration entre les Etats. Je me rends compte en même temps que cette vision de la future Europe est largement partagée par les élites politiques et économiques. C’est là que se situe l’importance du scrutin suédois. Le peuple a dit : « Non, nous ne voulons pas plus d’Europe. Nous ne voulons pas sacrifier notre démocratie, notre indépendance et notre système social ». Espérons que la décision des Suédois contribuera à influencer l’avenir de l’Europe en ce sens que l’Union Européenne renonce au projet des Etats-Unis de l’Europe.
Tony Johansson a été directeur de campagne du mouvement « Sociaux-démocrates contre l’union économique et monétaire ». Il étudie l’histoire économique et l’économie à l’université de Lund.
Weitere Texte zum Themenbereich:
|