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L’exemple de la directive sur les services

Grande fut la déception à Bruxelles lorsque des majorités en France et aux Pays-Bas se sont prononcées contre le projet de Constitution Européenne. La Commission de l’UE réagit en instaurant une « Phase D ». La lettre « D » signifie – au moins officiellement – « dialogue », mais en réalité la Commission n’entend pas dévier de sa politique néo-libérale. L’évolution des discussions autour de la directive concernant les services le démontre.

Par Stephan Lindner, Attac (Allemagne)

La directive sur les services a été très critiquée avant les votations sur le projet de Constitution Européenne en France et aux Pays-Bas et elle a sans doute joué un rôle non négligeable déterminant le résultat. En effet, cette directive contient à elle seule tous les éléments néo-libéraux relevés par les adversaires du projet de Constitution. Au lieu de préconiser une harmonisation de la protection de l’environnement, des consommateurs et des travailleurs à un niveau élevé, elle entend déréguler tout le secteur des services. Rappelons qu’une directive n’est rien d’autre qu’une loi européenne. Une fois acceptée, elle doit être mise en œuvre dans tous les pays appartenant à l’UE. Le secteur des services correspond dans de nombreux pays européens à 70% des emplois et également à 70% de l’activité économique. Ce secteur comprend des branches de l’économie aussi diverses que les soins médicaux, le secteur du bâtiment, la gastronomie, le tourisme, la fourniture d’eau ou l’enlèvement des déchets. Si tous ces secteurs étaient soumis à la loi du marché, on devrait s’attendre à une vague de privatisations touchant des domaines qui jusqu’à présent faisaient partie des services publics.

Il est prévu d’alléger fortement les contraintes imposées aux entreprises désirant ouvrir une succursale dans un autre pays membre de l’UE. On veut en même temps introduire le principe du « pays d’origine », qui stipule qu’une entreprise sera soumise à la réglementation de son pays d’origine pour ses activités dans tous les pays membres de l’UE. La conséquence de cette mesure sera que les entreprises seront incitées à déplacer leur siège dans le pays qui impose les standards les moins contraignants. Ainsi la course vers les salaires et les impôts les plus bas et la protection sociale la plus faible va s’accélérer dans les pays de l’UE. De plus, la démocratie sera affaiblie à son tour, puisque les hommes et les femmes dans tous les pays seront soumis à des lois qui échappent à la compétence de leurs représentants élus.

La directive est maintenue malgré les résistances

De nombreux hommes politiques nous assurent que la directive concernant les services sera abolie ou au moins profondément modifiée. Or ces assurances ne correspondent pas à la réalité! La Commission Européenne maintient son projet et s’active pour le faire accepter sans modifications essentielles. Plus de dix commissions issues du Parlement européen se penchent actuellement sur ce projet. Avant que la directive puisse être soumise au vote en séance plénière, il faut que la commission chargée des questions concernant le marché unique donne son avis. Cette commission est en fait en charge du projet dans son ensemble et va rédiger un rapport à l’attention du Parlement résumant les prises de positions de toutes les autres commissions.

Notons que des critiques substantielles du projet de la Commission émanent des groupes des Verts et des socialistes. La seule fraction qui rejette de façon conséquente ce projet est le groupe GUE/NGL qui regroupe entre autres les membres allemands du Parlement européen issus de la nouvelle gauche allemande. Par contre les représentants des fractions des conservateurs et des libéraux affirment qu’ils espèrent pouvoir utiliser leur position majoritaire afin de faire adopter la directive sans modifications essentielles. Ils ont réussi ainsi à rejeter en commission une proposition des sociaux-démocrates préconisant un compromis concernant le principe du « pays d’origine ». Les sociaux-démocrates souhaitaient le remplacer par un principe de reconnaissance réciproque des réglementations par les pays membres.

La première lecture du projet en séance plénière aura lieu probablement avant l’été 2006. Les ministres de l’économie des pays membres se réuniront ensuite dans le Conseil de la Compétitivité. Une deuxième lecture aura lieu ensuite au sein du Parlement, suivie d’un processus de médiation si des divergences entre Parlement et Conseil subsistent.

Marché unique et Cour Européenne de Justice

La directive concernant les services n’est qu’une voie parmi d’autres visant à déréguler le secteur des services. En effet, le traité de l’Union contient déjà le principe de la libre circulation des personnes, des biens et des services. Beaucoup de gens s’étaient cependant imaginé que la mise en œuvre de ces principes prendrait une autre forme : le traité de l’Union stipule pourtant, contrairement à la directive concernant les services, que la libéralisation devra être mise en oeuvre secteur par secteur. L’avantage d’un tel procédé serait que les caractéristiques spécifiques de chaque branche pourraient être prises en compte séparément.

On pourrait ainsi également harmoniser les standards dans les différents pays pas à pas et secteur par secteur.

Le traité de l’Union permet aux Etats membres de maintenir leurs règles nationales jusqu’à la libéralisation complète d’un secteur. La seule condition est que ces règles doivent être appliquées à tout le monde de la même manière, indépendamment de la nationalité ou de l’origine d’une entreprise. Cependant cette clause s’est révélée être dans le passé une sorte de cheval de Troie : la Cour Européenne de Justice a interprété cette clause de façon très restrictive, en estimant qu’elle stipule en réalité que toute discrimination doit être éliminée, même si elle concerne une entreprise ou un individu qui fournit un service dans un pays voisin selon les règles en vigueur dans ce pays. Ainsi – selon l’interprétation de la Cour – ladite clause vise à supprimer toutes les différences de réglementation.

Si dans ces conditions une limitation du principe de libre circulation des personnes et des services peut être compatible avec le traité de l’Union, il est nécessaire qu’elle soit appliquée sans différence à toutes les personnes actives sur le sol d’un Etat. Il faut aussi qu’elle soit justifiée par des considérations du bien public qui ne soient pas déjà prises en compte par des dispositions équivalentes dans le pays d’origine d’une entreprise. De plus, ces dispositions ne peuvent dans aucun cas aller au-delà du minimum nécessaire pour atteindre le but poursuivi.

On a le droit de penser que cette vision des choses se situe loin de ce que dit le traité de l’Union. Le résultat est que plus personne ne sait exactement quelles réglementations peuvent être compatibles avec le traité de l’Union. Comment définir le bien public et comment savoir si les dispositions d’un pays voisin sont équivalentes ou pas? Il manque aussi des critères clairs qui définissent si une entreprise active dans les services possède une succursale dans un pays voisin ou bien si son activité a un caractère transfrontalier.

Se pose aussi la question de savoir si une personne a une activité réellement indépendante ou si ce n’est pas le cas. Dans le deuxième cas, la personne aura tous les droits d’un salarié normal. Dans les Etats membres de l’Union, il est souvent difficile de répondre à cette question, mais la difficulté est considérablement augmentée lorsqu’une personne a une activité transfrontalière.

Aspects flous de la directive de Bolkestein

On est en droit de penser que ce genre de questions devrait occuper les institutions de l’UE lorsqu’elles préparent une directive concernant le secteur des services. Loin d’en être le cas, le projet actuel tend au contraire à éliminer des régulations pourtant nécessaires.

Tous les Etats membres seront obligés de vérifier si leurs législations sont compatibles avec la jurisprudence de la Cour Européenne, souvent restrictive mais aussi imprécise. Le résultat de cette vérification doit être résumé dans un rapport qui donne une liste de toutes les lois abolies ou modifiées et qui justifie aussi toutes les réglementations maintenues. Les Etats membres procèderont ensuite à une évaluation mutuelle de ces rapports, dans la perspective de supprimer des réglementations supplémentaires. Il est aussi prévu de fortement limiter les conditions à remplir pour ouvrir une succursale. Les formalités nécessaires pourront être remplies presque uniquement par voie électronique, sans présentation de documents originaux ou traductions assermentées. Les autorisations nécessaires seront obtenues automatiquement sauf si un refus est envoyé au requérant dans un délai fixé d’avance.

Il nous semble clair que ce projet de directive va dans le mauvais sens, puisqu’il joue uniquement la carte de la déréglementation. Même si le domaine d’application de la directive était un peu réduit ou si le principe du pays d’origine était limité, toute déréglementation supplémentaire risque d’être néfaste, en dépit du fait qu’à Bruxelles on aime parler de « réduction de bureaucratie ».

Pour illustrer les problèmes qui pourront se poser, il suffit de regarder le secteur du bâtiment en Allemagne. On y trouve de plus en plus de carreleurs d’origine polonaise qui déclarent être des travailleurs indépendants, mais qui habitent le même logement par dizaines et qui travaillent sur le même chantier. On est donc tenté de penser qu’il ne s’agit pas de vrais indépendants mais plutôt d’activités illégales. La difficulté est que les autorités sont obligées dans chaque cas de faire statuer l’illégalité par voie judiciaire, ce qui est souvent difficile. Ainsi de tels travailleurs illégaux ne profitent pas des lois en vigueur qui, par exemple, fixent un salaire minimum.

Dans le secteur du bâtiment il y a pourtant souvent des contrôles, même si en fin de compte il est souvent difficile d’arrêter les abus. Un autre exemple est le secteur de la boucherie où il a fallu une pression massive des syndicats et des médias pour que des contrôles soient enfin faits. Ces contrôles ont révélé que dans de nombreux abattoirs des ressortissants roumains étaient employés à des salaires dérisoires et dans de déplorables conditions de travail. Ceci a été possible grâce à un accord bilatéral entre la Roumanie et l’Allemagne qui devait aider l’économie roumaine à s’intégrer progressivement dans le marché unique de l’UE. Bien entendu cet accord interdit expressément les pratiques illicites qui ont été constatées par la suite. On avait par contre oublié qu’il ne suffisait pas d’énoncer les principes, mais qu’il fallait aussi se donner les moyens, par des réglementations et contrôles adéquats, de les mettre en œuvre.

La même chose risque d’arriver avec la directive concernant les services. Il est vrai que le projet de la Commission stipule que le pays où l’activité a lieu a le droit de réclamer des informations au pays d’origine lorsque des problèmes surgissent en relation avec une activité de service transfrontalière. Mais les mécanismes nécessaires n’ont jamais été discutés ni même les coûts occasionnés par ces mesures.

Les critiques à l’encontre de la directive concernant les services sont souvent rejetées avec l’argument selon lequel il s’agit en réalité de préserver des privilèges. On nous dit qu’il faut aider les pays économiquement plus pauvres de l’Est européen à profiter du marché unique de l’UE.

Ces arguments ne tiennent pas debout. Notre critique cherche à empêcher l’instauration d’un système qui conduirait à un abaissement du niveau de vie partout. La directive risque d’affaiblir encore plus les structures civiles, comme les syndicats et les unions d’artisans, qui ont déjà du mal à assurer une rémunération adéquate pour tous ceux qui contribuent le plus par leur travail au bien-être général. Il est à craindre qu’à cause des grandes disparités de salaires entre les pays de l’UE l’Europe ne soit divisée de plus en plus profondément par ses frontières internes ethniques. Déjà maintenant de nombreux ressortissants de l’Europe de l’Est travaillent en Allemagne pour des salaires bien plus bas que leurs collègues allemands. On justifie souvent cela avec l’argument que c’est le seul moyen pour les entreprises de rester compétitives, et que c’est donc aussi un moyen pour sauvegarder les emplois des Allemands mieux rémunérés. Un tel système n’est pas seulement raciste, mais il contribue aussi à approfondir le fossé entre employés allemands et étrangers. Dans tous les cas de figure, ce sont toujours les employés en bas de l’échelle salariale qui feront les frais de la situation.

L’opposition est nécessaire

Pour nous il est clair qu’il faut empêcher la directive concernant les services d’entrer en vigueur. L’abolition de cette directive à elle seule ne suffira cependant pas. Les mécanismes qui vont être mis en œuvre, si la directive sera adoptée, sont pour une bonne partie déjà inscrits dans le traité de l’Union. Des groupes d’intérêt puissants, organisés sur le plan international aussi bien que national, ont déjà obtenu l’adoption de ces principes il y a des années. Ils sont maintenant à l’œuvre pour les faire entrer dans la vie quotidienne.

De l’autre côté, les syndicats et les mouvements sociaux, s’ils veulent lutter avec succès contre cette évolution, seront obligés de s’organiser eux aussi sur le plan transnational. Dans le cadre national il s’agira de lutter pour un salaire minimum et pour que le même travail au même endroit soit rémunéré de la même façon. Sur le plan international il s’agira d’œuvrer pour une harmonisation du niveau de vie en Europe et, à long terme, dans le monde. Une telle tâche ne peut pas être laissée au seul marché. Il faudra harmoniser les standards au niveau le plus élevé possible, à l’aide notamment d’une politique européenne de redistribution ambitieuse. On aura besoin pour cela d’un projet de Constitution européenne entièrement nouveau.


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