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Traités économiques de l’Union Européenne avec des pays du tiers monde

Le 19 avril 2007, des agriculteurs, des activistes et des représentants de la société civile en Europe, en Afrique, aux Caraïbes et dans la Région Pacifique (les régions dites des états ACP) ont manifesté devant les ambassades allemandes contre les traités de partenariat économique (Economic Partnership Agreements, EPA) de l’Union Européenne. Cette journée internationale de protestations eut lieu sur l’initiative de l’association « Stop EPA » afin d’exercer une pression sur le gouvernement allemand actuellement influent du fait de sa présidence de la Commission Européenne et du G8.

Par Annette Groth1

Les activistes du « Stop EPA » demandent à la chancelière allemande Mme Merkel d’exercer son influence sur les autres pays membres de l’Union Européenne et sur la Commission Européenne ; ils voudraient que ne soient pas mis en oeuvre de nouveaux traités économiques obligeant certains pays pauvres à ouvrir leurs marchés et à subir une concurrence inéquitable. Cette initiative est accompagnée d’une campagne internationale de courriers électroniques. Jusqu’à présent, Mme Merkel a reçu plus de 20'000 messages électroniques. On peut donc espérer que ces protestations vont porter leurs fruits (voir www.epa.de) et que les négociations sur les EPA seront arrêtées.

Les organisateurs de cette journée de protestation espèrent également faire connaître la campagne « Stop EPA » auprès d’un large public. Bien que les EPA aient constitué l’un des grands thèmes du forum social mondial à Nairobi au mois de janvier dernier, le public européen dans son ensemble n’est pas encore conscient des problèmes qu’elles posent. Constituant l’un des thèmes principaux du sommet du G8 à Heiligendamm, l’Afrique a également été l’objet de nombreuses manifestations organisées par les mouvements d’opposition. Les EPA ont aussi été discutés lors de ces manifestations et il est souhaitable que ce sujet soit abordé le plus largement possible au cours de ces sommets.

Que cachent les EPA ?

Lors du sommet de l’UE du mois de mars 2000, les dirigeants de l’UE ont adopté la stratégie dite « de Lisbonne » qui stipule que l’UE doit devenir d’ici 2010 « l’espace économique le plus compétitif et le plus dynamique du monde basé sur le savoir et les connaissances ». Le président actuel de la Commission Européenne, M. Barroso, a déclaré que la réalisation des objectifs de la stratégie de Lisbonne sera le but principal de son équipe. Le commissaire Günter Verheugen doit coordonner la mise en œuvre de ce programme. Entendu par le Parlement de l’UE, M. Verheugen a déclaré que « la Commission mettra en œuvre tous les moyens nécessaires afin de créer les meilleures conditions pour toutes les entreprises, leur permettant ainsi de réussir sur le marché mondial ». Les « bonnes conditions » pour les entreprises sur le marché global jouent un rôle important dans la politique commerciale de l’UE « exclusivement » menée par la Commission Européenne elle-même.

Au mois de juin 2000, trois mois après l’adoption de la stratégie de Lisbonne, le traité de Cotonou fut signé par l’UE et les 78 états associés au ACP (Afrique, Caraïbes, Pacifique). Le traité de Cotonou remplace les traités de Lomé qui accordaient jusqu’à présent aux états ACP un traitement préférentiel pour leurs exportations. Dans le traité de Cotonou, ratifié en 2003, aucune mention n’est faite d’un tel traitement préférentiel. Ceci constitue un tournant décisif dans les relations entre les partenaires du traité; d’un traitement préférentiel des anciennes colonies des puissances européennes nous sommes passés à un traité de libre échange entre partenaires inégaux. Le traité de Cotonou prévoit une libéralisation progressive du commerce selon les critères de l’OMC (traité général concernant le commerce et les abaissements des droits de douane). Le traité de Cotonou touche de fait également aux domaines suivants : les droits de propriété intellectuelle, les questions d’harmonisation et de certification industrielle, les standards sanitaires et phytosanitaires, les aspects environnementaux, le droit du travail ainsi que la politique de la consommation.

Dans le cadre du traité de Cotonou, l’UE négocie depuis 2003 avec six régions des états ACP : ECOWAS (Afrique de l’Ouest), ESA (Afrique de l’Est et du Sud), CEMAC (Centrafrique), SADC (Communauté pour le développement de l’Afrique du Sud), les régions des Caraïbes et du Pacifique. Les objets de ces négociations sont justement les EPA (Economic Partnership Agreements). Ils devraient êtres bouclés avant la fin 2007 et entrer en vigueur entre 2008 et 2020.

Dans le cadre de ces négociations, l’UE tente d’obtenir la libéralisation de secteurs controversés comme les investissements, la concurrence et les marchés publics (appelés les thèmes de Singapour) et ainsi d’imposer par voie bilatérale les objectifs qui n’ont pas pu l’être par la voie multilatérale. Selon Pascal Lamy, ancien Commissaire au Commerce de l’UE et actuel patron de l’OMC, les EPA sont des traités de libre-échange qui peuvent aussi impliquer une aide aux exportations accordée aux entreprises européennes2. La Commission Européenne a ainsi été l’objet de louanges de la part de l’organisation patronale allemande (Bundesverband der Deutschen Industrie, BDI) : « Lors des négociations bilatérales et des processus d’adhésion à l’OMC, la Commission cherche à imposer les intérêts de l’UE. Elle représente ainsi – dans la mesure du possible – les intérêts des entreprises qui cherchent à obtenir des parts dans ces marchés d’exportation. Une collaboration étroite entre les acteurs économiques et la Commission est nécessaire pour obtenir des progrès réels »3.

Les EPA critiqués

Une opposition croissante se manifeste actuellement contre les EPA. Le fait que les états ACP ne pourront plus percevoir des droits de douane sur des marchandises importées et seront ainsi obligés d’ouvrir leurs marchés non seulement aux produits industriels et agricoles mais également aux investissements, aux services et aux marchés publics entraînera pour eux une perte importante de revenus. Ils se trouveront en concurrence directe avec des produits importés de l’Europe. Les conséquences négatives qui résultent d’importations croissantes de produits alimentaires de provenance européenne et américaine sont déjà évidentes aujourd’hui. Les abaissements des droits de douane imposés par le FMI et la Banque Mondiale rendent possibles ces importations. De nombreuses études menées afin de déterminer les conséquences des traités EPA sur les économies des états ACP mettent en garde contre des conséquences négatives supplémentaires prévisibles. Il est à craindre que, en plus de la mise en péril de la sécurité d’approvisionnement alimentaire, les EPA provoquent l’effondrement de pans entiers de l’industrie locale et contribuent ainsi à une désindustrialisation des états concernés.

Lors d’une audition à Bruxelles en 2004 un responsable syndical des producteurs de volaille ghanéens s’est montré préoccupé : « La réduction des droits de douanes va conduire à un accroissement substantiel des importations de volailles au Ghana à l’instar de ce qui s’est déjà passé au Cameroun. La conséquence en sera la mise au chômage de la partie la plus modeste de notre population ; ce sont les petits agriculteurs et surtout les femmes qui dépendent fortement du secteur des volailles. Il est difficilement acceptable pour nous qu’au nom du libre échange on autorise le dumping de morceaux de volaille qui pour certains ne sont même pas vendables dans l’UE »4. En effet, l’UE exporte beaucoup de restes de viande provenant des abattoirs et non vendables sur le marché européen.

La signature d’un traité de libre échange impliquant des abaissements supplémentaires des droits de douane pourrait bien sonner le glas de nombreux petits producteurs de volaille au Ghana et, une fois de plus, les femmes seront les premières perdantes. Mme Aminata Traore, ancienne ministre de la culture du Mali et activiste très connue dans toute l’Afrique, considère les EPA comme les « armes de destruction massive de l’Europe » qui feront exploser la pauvreté en Afrique.

Selon une étude menée par PriceWaterhouse Coopers concernant la compatibilité des EPA avec les principes du développement durable (septembre 2006), les EPA pourront également avoir des conséquences négatives importantes pour l’environnement. Afin de compenser les pertes de revenus douaniers, certains états devront exporter davantage de matières premières comme le bois exotique ou le pétrole. Un déboisement accéléré avec des conséqences sur le plan mondial pourra en résulter.

Malgré l’opposition croissante aux EPA et malgré les effets négatifs déjà perceptibles, l’UE ne renonce pas à ses projets. Tout au contraire : au printemps 2005, le Commissaire Européen chargé du commerce extérieur, M. Mandelson, a déclaré que les états ACP n’obtiendront un accès « amélioré » aux marchés européens que s’ils ouvrent à leur tour leurs marchés et s’ils sont prêts à entamer des négociations sur les EPA. L’UE dispose d’un moyen de pression supplémentaire, à savoir les moyens financiers disponibles par le biais du 10ème Fonds de Développement Européen, leur paiement aux états ACP étant sujet à la ratification préalable du traité de Cotonou. Si les EPA ne sont pas signés avant la fin 2007, le paiement de ces aides au développement pourrait être retardé.

Ce moyen de pression est aussi l’une des raisons principales pour que les états ACP continuent les négociations et n’y renoncent pas, comme nombre d’opposants le demandent. Le secrétariat des ACP a en effet déclaré en 2005 que « si nous nous opposons aux EPA, nous risquons de perdre les aides au développement de l’UE et l’accès privilégié au marché européen ».

Lors de leur réunion d’avril 2006, les ministres du commerce extérieur de l’Union Africaine ont critiqué « l’absence de prise en compte des aspects de développement des états ACP » et ont demandé aux négociateurs de l’UE de modifier leur attitude. Les ministres ont souligné que les domaines en litige, les investissements, la concurrence et les marchés publics (les thèmes de Singapour) devraient être exclus des négociations. Cette demande a été réitérée par le ministre du commerce extérieur nigérien, M. Modibbo, en octobre 2006, lors d’un séminaire concernant les EPA qui a eu lieu à Bruxelles. Il a fait remarquer que la libéralisation de ces secteurs n’a pour l’instant pas été acquise dans les négociations multilatérales.

De son côté, le ministre du commerce extérieur sénégalais, M. Mamadou Diop, a critiqué l’attitude rigide des négociateurs européens qui ne sont pas prêts à prendre en considération toutes ces critiques. Pour lui, cette position est difficilement acceptable, surtout depuis que certains membres des gouvernements européens et même quelques cadres industriels haut placés demandent que les critiques formulées au sujet des EPA soient prises au sérieux. M. Diop a insisté sur le fait que la mise en œuvre des EPA entraînera des ajustements structurels importants et couteux pour les états ACP, pour lesquels il faudra bien que quelqu’un paye. Le Sénégal a déjà pratiquement perdu sa population agricole puisque les agriculteurs modestes n’ont pas réussi a se maintenir face à la concurrence des denrées alimentaires subventionnées et donc peu chères, importées d’Europe et d’autres pays.

Critiques provenant des pays du nord

Ces critiques émanant des pays ACP ont récemment reçu un soutien officiel de la part de la Grande Bretagne et de la France. En octobre 2006 le ministre anglais chargé du commerce extérieur, ainsi que son homologue chargé de l’aide au développement, ont rédigé une lettre ouverte dans laquelle ils expriment leur préoccupation concernant la tournure prise par les négociations. Ils plaident pour qu’on accorde aux pays ACP « le temps nécessaire pour se préparer à l’ouverture des marchés ». Ils critiquent également le système de subventions agricoles de l’UE en remarquant que « les pays pauvres devraient avoir la possibilité d’interdire l’importation de denrées alimentaires qui ont été subventionnées dans leur pays d’origine et qui constituent une menace pour la production agricole locale ». Ils ont également demandé qu’on renonce à forcer les états ACP à ouvrir des négociations sur les investissements, la concurrence et les marchés publics. Tout récemment, une commission parlementaire a exprimé la crainte que la Commission Européenne pourrait abuser de sa position de force lorsqu’elle cherche à imposer l’ouverture de négociations sur ces thèmes.

La critique la plus radicale des EPA a été publiée en juillet 2006 par une délégation de la Commission pour les Affaires Européennes de l’Assemblée Nationale française. Le « Rapport Lefort » n’est rien moins qu’un réquisitoire sans appel à l’encontre de la Commission Européenne et surtout de sa Direction Générale pour le Commerce chargée des négociations avec les états ACP. Selon ce rapport, « l’Europe est en train de commettre une erreur capitale politique, tactique, économique et géostratégique, en maintenant ses objectifs et son calendrier pour les négociations, dans le but de boucler les traités EPA avant fin 2007 ». Cette critique est sévère et le remède proposé est drastique : le rapport recommande comme conséquence « absolument nécessaire » que le mandat donné à la Commission Européenne lui soit retiré et remplacé par un mandat nouveau et différent.

Malgré toutes ces critiques et réticences, la Commission Européenne est actuellement en train d’augmenter la pression sur les états ACP afin d’obtenir la signature des EPA avant la fin de l’année. Selon l’avis des représentants du réseau africain pour le commerce (African Trade Network, ATN) et d’autres organisations actives dans les pays ACP, le sort des EPA est actuellement dans les mains des Européens.

La campagne « Stop EPA » a décidé, déjà au mois de mars de l’année dernière, de lancer un appel sur le plan mondial pour arrêter les négociation sur les EPA. Cet appel invite les organisations de la société civile, les mouvements d’ordre social, les syndicats et les organisations religieuses des états ACP et d’Europe à se mobiliser contre les traités EPA et à examiner de façon critique la politique européenne d’aide au développement. Il est nécessaire que cet appel soit entendu. Les EPA aggraveront la pauvreté dans les pays concernés ; il est inadmissible qu’ils soient négociés au nom des citoyens et citoyennes européens.

1 Eurafair, Stuttgart (Allemagne), http://www.eurafair.de
2 « We should contribute to the long term creation/development of export markets for EU exports … » http://www.europa.eu.int/comm/trade/issues/sectoral/competitiveness/index_en.htm
3 « Alter Wein in neuen Schläuchen ? » Handelspolitik aktuell, BDI, avril 2005, Numéro 1/2005.
4 « New ACP-EU Trade Arrangements : New Barriers to Eradicating Poverty ? » Bruxelles, mars 2004, http://www.eurostep.org
5 http://www.abcburkina.net/ape/resume_lefort_fr.htm


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