La militarisation de l'UE fait des progrès rapides. Dans le traité de Maastricht on vise une politique commune de défense et on mentionne explicitement l'option d'une défense commune. Si quelqu'un veut devenir membre d'une organisation, il doit partager ses visions politiques à long terme. C'est pourquoi l'UE demande de la part des pays qui veulent adhérer le soutien explicite des buts communautaires. Il faut alors examiner une adhésion éventuelle à l'UE sous l'angle de la formation future d'un bloc militaire. Or la neutralité n'est pas compatible avec l'adhésion à un tel bloc.
de Paul Ruppen
Dans la déclaration de Petersberg (19 juin 1992) les Etats membres de l'Union de l'Europe Occidentale (UEO)
se mettent d'accord pour renforcer le rôle opérationnel de l'UEO: les Etats membres doivent mettre à la
disposition de l'UEO des unités militaires de l'éventail entier de leurs forces conventionnelles (II.2.). Si des
Etats membres ont déjà constitué ou s'ils planifient la constitution de forces multinationales, ils doivent mettre
celles-ci à la disposition de l'UEO. La participation à des opérations spécifiques reste cependant dans la
compétences des Etats membres. Le champ d'action déterminé dans le traité de base, à savoir la défense
commune en cas d'aggression contre un Etat -membre, a été élargi par la déclaration de Petersberg aux tâches
humanitaires, aux tâches de sauvetage, aux mesures de maintien de la paix (peacekeeping), aux tâches des
troupes de combat lors de la gestion de crises, ce qui inclut des mesures d'imposition de la paix (peacemaking).
Le communiqué du Conseil des ministres de l'UEO du 19 mai 1993 à Rome désigne les forces militaires que les
Etats doivent mettre à la disposition de l'UEO: les eurocorps (eurofor, euromarfor), la division multinationale,
qui regroupe des unités belges, britanniques et allemandes, et les forces amphibies britanniques et hollandaises.
L'UEO et l'Union Européenne
Le traité de Maastricht introduit dans le processus d'intégration de la CE la "politique étrangère et de sécurité
commune" (PESC). Sous le titre V les Etats membres de l'UE s'obligent à s'abstenir de toute action qui pourrait
aller contre les intérêts de l'Union ou qui pourrait nuire à l'efficacité de l'Union en tant que force cohérente dans
les relations internationales (art. J.1.(4)). Si le Conseil des ministres le décide, il peut déterminer une position
commune par rapport à tous les problèmes relevant de la politique étrangère ou de sécurité. Les Etats membres
doivent agir de telle sorte que leur politique s'accorde avec les positions communes de l'UE. Les Etats membres
doivent coordonner leurs actions dans les organisations internationales et dans les conférences internationales
(art. J.2.), pour mieux imposer leurs intérêts communs (art.J.1.(2)). Ces articles renforcent la tendance de l'UE
à former un bloc géopolitique. Les Etats membres de l'UE n'ont pu jusqu'alors s'entendre pour introduire une
défense commune. Il faut cependant relever que le traité de Maastricht contient explicitement cette option: "La
politique étrangère et de sécurité commune inclut l'ensemble des questions relatives à la sécurité de l'Union
européenne, y compris la définition à terme d'une politique de défense commune, qui pourrait conduire, le
moment venu, à une défense commune." Par là, celle-ci reçoit un poids particulier pour le développement
envisagé de l'UE.
Le traité de Maastricht explicite la relation entre l'UE et l'UEO: "L'Union demande à l'Union de l'Europe
occidentale (UEO), qui fait partie intégrante du développement de l'Union européenne, d'élaborer et de mettre
en oeuvre les décisions et les actions de l'Union qui ont des implications dans le domaine de la défense." (art.
J.4.(2)). Les Etats membres de l'UEO affirment dans une déclaration, incluse dans les annexes du traité de
Maastricht, vouloir développer l'UEO en tant que composante de défense de l'UE et renforcer par là l'UEO en
tant que pilier européen de l'OTAN. "Les Etats membres de l'Union de l'Europe occidentale (UEO) conviennent
de la nécessité de former une véritable identité européenne de sécurité et de défense, et d'assumer des
responsabilités européennes accrues en matière de défense. Cette identité sera élaborée progressivement selon un
processus comportant des étapes successives. L'UEO fera partie intégrante du développement de l'Union
européenne et renforcera sa contribution à la solidarité au sein de l'Alliance atlantique". Les Etats membres de
l'UEO invitent les Etats membres de l'UE à devenir membres de l'UEO ou à y obtenir le statut d'observateur.
En même temps ils invitent les autres pays membres européens de l'OTAN à devenir des membres associés de
l'UEO.
L'adhésion à l'UE et la neutralité
Le Conseil Fédéral affirme dans son rapport sur la politique étrangère et la neutralité que la participation à la
"politique étrangère et de sécurité commune" ne constitue pas une violation des obligations juridiques de la
neutralité (p 84f). Selon ce rapport, l'UE n'aura pas effectué le pas prévu vers une politique commune de
défense dans un avenir proche. Ce pas nécessiterait l'accord de tous les pays-membres et, par là, l'accord de la
Suisse si celle-ci était membre de l'UE. Ainsi, le Conseil Fédéral semble insinuer qu'en cas d'adhésion on
pourra toujours dire non à la défense commune. Cette argumentation n'est pas très crédible. L'UE réclame de la
part des Etats qui veulent adhérer non seulement la reprise intégrale de l'état de l'intégration acquise, mais aussi
le soutien de la finalité politique inscrite dans le traité de Maastricht. Le Conseil fédéral en est conscient quand il
dit que la Suisse collaborerait loyalement au développement des buts de l'Union et que, si l'UE atteignait un jour
le but d'une structure solide et durable de défense, il faudrait réfléchir sur le bien-fondé de la neutralité. (p. 84).
Mettre en avant l'unanimité nécessaire et la possiblité de blocage suisse n'est alors qu'une tentative pour calmer
les esprits.
Le neutralité n'est pas un dogme. Elle n'est pas une valeur en soi. Elle doit se justifier par d'autres valeurs. Mais
l'abandon de la neutralité ne mènerait qu'à l'intégration dans un bloc militaire des pays riches. Les visées de ce
bloc militaire sont claires. Jacques Delors p.ex. disait ouvertement qu'il fallait se préparer aux guerres de
ressources du siècle prochain. Renforcer de telles perspectives ne sert guère la paix mondiale. La neutralité
traditionnelle n'est évidemment pas au-dessus de tout soupçon (commerce avec l'Afrique du sud au temps de
l'apartheid). Il ne faut cependant pas en tirer la conclusion qu'il faut l'abandonner. Pour trouver un rôle positif
pour la Suisse dans le concert international, il faudrait développer une conception de la neutralité qui s'oriente
vers la paix internationale. Dans la mesure où la neutralité classique était dominée par les intérêts économiques
suisses, elle devrait désormais être régie par une politique orientée vers la défense des droits de l'homme et
préventive en faveur de la paix. fin.
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